Chat-entre-fables

Chœur à voix égales
Fables de Marie de France, Eustache Deschamps, Jean de La Fontaine et Jean-Pierre Claris de Florian
(2020)
Durée : env. 20’
Commande de la Maîtrise de Toulouse
Création mondiale le 4 février 2023 en l’église St Pierre des Cuisines de Toulouse par la Maîtrise de Toulouse sous la direction de Mark Opstad

Enregistrement vidéo de la création

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Texte de présentation

Chat-noine (Le chat mitré de Marie de France)

Chat-en-sonnette (Ballade d’Eustache Deschamps)

Chat-y-ment (Le chat et un vieux rat de Jean de La Fontaine)

Chat-maillé (Le chat et les rats de Jean-Pierre Claris de Florian)

A travers ces 4 pièces, c’est un voyage stylistique qui est proposé ; quelque peu fantaisiste, car non dénué d’anachronisme, mais propre à bien différencier l’esthétique littéraire de chacun des fabulistes.

Pour mettre en scène le « Chat mitré » de Marie de France (poétesse du XIIe siècle), sont convoqués ici diverses techniques anciennes comme le déchant, le conduit, l’organum, le hoquet, etc. ainsi que le Dies Irae grégorien ou la chanson de l’Homme armé ; conférant ainsi à cette pièce une touche quelque peu médiévale.

C’est une fugue qui constitue le ressort central de la Ballade d’Eustache Deschamps (XIVe siècle) dont les diverses apparitions sous forme de couplets sont encadrées par un refrain carillonnant où les sonnettes destinées au chat s’agitent dans une superposition de tempos différents.

Les vers imagés et finement allusifs de La Fontaine (XVIIe siècle, le Grand Siècle des Discours) connaissent un traitement musical beaucoup plus figuraliste, voire descriptif. De l’unisson à une complexe division polyphonique, les tactiques du chat pour arriver à ses fins suivent une conduite narrative très linéaire.

Florian a vécu dans la 2e moitié du XVIIIe siècle, période où l’écoute verticale des sons est définitivement acquise. De là, une écriture musicale beaucoup plus harmonique, avec des agrégats d’accords colorés. Ce qui n’exclut pas un traitement polyphonique par couches bien distinctes, ainsi que des sections rythmiques trépidantes et fortement pulsées.

Les textes (avec traduction en français moderne pour ceux du XIIe et XIVe siècles) :

Chat-noine (Le chat mitré de Marie de France – XIIe siècle)

Un chaz seeit desur un fur Un chat était assis sur un fourneau :

u ot agueité tut en jur. . il avait été aux aguets toute la journée.

Vit le mulet e la suriz, Il vit le mulot et la souris.

sis apela par mut beus diz Il les appela par de douces paroles

e dist que lur evesques fu en leur disant qu’il était leur évêque

e que mal cunseil unt eü et qu’ils se portaient fort mal

que sa beneïçun n’aveient. de vivre sans sa bénédiction.

E les suriz li respundeient Mais le souris lui répondirent

que asez voleient meuz murir qu’elles aimaient mieux mourir

que desuz ses ungles venir. que de tomber sous ses griffes.

Les suriz s’en turnent fuiant, Les souris se mettent à fuir

e li chaz les vet enchalçant. et le chat à les pourchasser.

En la parei se sunt fichees : Elles se glissent dans un trou du mur ;

meuz i voleient estre mucees, elles préfèrent y rester cachées,

si que eles ne puissent muveir, même privées de la lumière du jour,

qu’od lur evesque remaneir ; plutôt que de rejoindre leur évêque :

mult criement sa beneïçun, elles craignent fort sa bénédiction

kar il le sevent a felun. Tant elles connaissent sa félonie.

Par cest essample nus devise Voici la morale de ce récit exemplaire :

nul ne se deit mettre en justis il ne faut pas se mettre au pouvoir

de celui que mal lui veut fere, de celui qui vous veut du mal,

mes desturner de sun repeire. mais se réfugier dans une autre terre.

Chat-en-sonnette (Ballade d’Eustache Deschamps – XIVe siècle)

Je treuve qu’entre les souris J’ai lu que les souris se réunirent
Ot un merveilleux parlement
en session extraordinaire
Contre les chas leurs ennemis,
contre les chats, leurs ennemis,
A veoir manière comment
pour savoir de quelle manière
Elles vesquissent seurement
elles pourraient vivre en lieu sûr
Sanz demourer en tel débat;
et sans danger.
L’une dist lors en argüant :
L’une d’elles alors proposa :
Qui pendra la sonnette au chat?
« Qui pendra la sonnette au chat ? »

Cilz consaulz fut conclus et prins ; La décision fut prise fermement,
Lors se partent communément.
Avant que toutes se séparent.
Une souris du plat païs
Une souris du plat pays
Les encontre et va demandant
qui les rencontre leur demande
Qu’om a fait: lors vont respondant
ce qu’on a fait. Toutes répondent
Que leur ennemi seront mat :
que leurs ennemis seront mat :
Sonnette aront ou coul pendant.
« Ils auront la sonnette au cou !
Qui pendra la sonnette au chat? –
Qui pendra la sonnette au chat ? »

« Cest le plus fort », dist un rat gris « C’est la difficulté ! » répond un rat.
Elle demande saigement
Sagement elle leur demande
Par qui sera cilz fais fournis.
Qui sera chargé de l’exploit
Lors s’en va chascune excusant ; 
Chacune d’excuse et s’en va.
Il n’y ot point d’exécutant,
Il n’y eut point d’exécutant :
S’en va leur besongne de plat;
tout le projet tomba à plat
Bien fut dit, mais, au demourant,
Bien fut dit, mais, finalement
Qui pendra la sonnette au chat? « 
Qui pendra la sonnette au chat ? »

L’envoy
Prince, on conseille bien souvent,
Prince, on prend souvent des résolutions
Mais on puet dire, com le rat.
Mais on dira, comme le rat,
Du conseil qui sa fin ne prant :
d’une décision sans exécution :
Qui pendra la sonnette au chat? « 
Qui pendra la sonnette au chat ? »

Chat-y-ment (Le chat et un vieux rat de Jean de La Fontaine – XVIIe siècle)

J’ai lu chez un conteur de Fables,

Qu’un second Rodilard, l’Alexandre des Chats,

L’Attila, le fléau des Rats,

Rendait ces derniers misérables :

J’ai lu, dis-je, en certain Auteur,

Que ce Chat exterminateur,

Vrai Cerbère, était craint une lieue à la ronde :

Il voulait de Souris dépeupler tout le monde.

Les planches qu’on suspend sur un léger appui,

La mort aux Rats, les Souricières,

N’étaient que jeux au prix de lui.

Comme il voit que dans leurs tanières

Les Souris étaient prisonnières,

Qu’elles n’osaient sortir, qu’il avait beau chercher,

Le galant fait le mort, et du haut d’un plancher

Se pend la tête en bas : la bête scélérate

A de certains cordons se tenait par la patte.

Le peuple des Souris croit que c’est châtiment,

Qu’il a fait un larcin de rôt ou de fromage,

Egratigné quelqu’un, causé quelque dommage,

Enfin qu’on a pendu le mauvais garnement.

Toutes, dis-je, unanimement

Se promettent de rire à son enterrement,

Mettent le nez à l’air, montrent un peu la tête,

Puis rentrent dans leurs nids à rats,

Puis ressortant font quatre pas,

Puis enfin se mettent en quête.

Mais voici bien une autre fête :

Le pendu ressuscite ; et sur ses pieds tombant,

Attrape les plus paresseuses.

« Nous en savons plus d’un, dit-il en les gobant :

C’est tour de vieille guerre ; et vos cavernes creuses

Ne vous sauveront pas, je vous en avertis :

Vous viendrez toutes au logis. « 

Il prophétisait vrai : notre maître Mitis

Pour la seconde fois les trompe et les affine,

Blanchit sa robe et s’enfarine,

Et de la sorte déguisé,

Se niche et se blottit dans une huche ouverte.

Ce fut à lui bien avisé :

La gent trotte-menu s’en vient chercher sa perte.

Un Rat, sans plus, s’abstient d’aller flairer autour :

C’était un vieux routier, il savait plus d’un tour ;

Même il avait perdu sa queue à la bataille.

« Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille,

S’écria-t-il de loin au Général des Chats.

Je soupçonne dessous encor quelque machine.

Rien ne te sert d’être farine ;

Car, quand tu serais sac, je n’approcherais pas.

C’était bien dit à lui ; j’approuve sa prudence :

Il était expérimenté,

Et savait que la méfiance

Est mère de la sûreté.

Chat-maillé (Le chat et les rats de Jean-Pierre Claris de Florian – fin XVIIIe siècle))

Un angora que sa maîtresse

Nourrissait de mets délicats

Ne faisait plus la guerre aux rats ;

Et les rats, connaissant sa bonté, sa paresse,

Allaient, trottaient partout, et ne se gênaient pas.

Un jour, dans un grenier retiré, solitaire,

Où notre chat dormait après un bon festin,

Plusieurs rats viennent dans le grain

Prendre leur repas ordinaire.

L’angora ne bougeait. Alors mes étourdis

Pensent qu’ils lui font peur ; l’orateur de la troupe

Parle des chats avec mépris.

On applaudit fort, on s’attroupe,

On le proclame général.

Grimpé sur un boisseau qui sert de tribunal :

Braves amis, dit-il, courons à la vengeance.

De ce grain désormais nous devons être las,

Jurons de ne manger désormais que des chats :

On les dit excellents, nous en ferons bombance.

À ces mots, partageant son belliqueux transport,

Chaque nouveau guerrier sur l’angora s’élance,

Et réveille le chat qui dort.

Celui-ci, comme on croit, dans sa juste colère,

Couche bientôt sur la poussière

Général, tribuns et soldats.

Il ne s’échappa que deux rats

Qui disaient, en fuyant bien vite à leur tanière :

Il ne faut point pousser à bout

L’ennemi le plus débonnaire ;

On perd ce que l’on tient quand on veut gagner tout.