PORTRAITS
Henri Dutilleux Sylviane Falcinelli Marc Blanchet Radios – Interviews – Colloques – Reportages
Henri Dutilleux
« J’ai toujours apprécié avec quelle aisance Patrick Burgan parvient à modeler son style en l’adaptant au genre d’ouvrages qu’il décide d’entreprendre. La création au Théâtre du Châtelet de Peter Pan ou la véritable histoire de Wendy Moira Angela Darling, dont le rôle de conteuse fut confié à Marie-Christine Barrault, montre un nouvel aspect de ses dons dans le domaine du théâtre lyrique inspiré par le monde de l’enfance »
(2006, à propos de l’opéra Peter Pan)
« La version intégrale m’a séduit par la flambée de lumière, la vivacité du langage instrumental »
(2004, à propos de Sphères pour grand orchestre)
« J’avais déjà été très touché par votre pensée de me dédier cette œuvre. Je suis maintenant heureux de pouvoir vous dire que j’en aime la facture, l’esprit, la matière sonore et particulièrement cette facilité (dans le meilleur sens du mot, il faudrait dire plutôt cette liberté) avec laquelle vous réalisez votre propos, comme dans d’autres de vos œuvres, d’ailleurs.
Le rapprochement avec Baudelaire, par l’évocation du poème A une passante, qui m’a toujours fasciné, me touche également beaucoup »
(1997, lettre à propos de « Un éclair…puis la nuit ! » pour 15 instruments)
« J’ai toujours apprécié avec quelle aisance Patrick Burgan parvient à modeler son style en l’adaptant au genre d’ouvrages qu’il décide d’entreprendre. »
Henri Dutilleux
Patrick Burgan ou la voix retrouvée par Sylviane Falcinelli
Face à un monde déshumanisé et dépoétisé, face à la désertion d’un public échaudé par plusieurs décennies d’aridité intellectuelle et machiniste dans le champ de la musique dite contemporaine, Patrick Burgan élève sa voix, hautement individuelle sans être revendicative, pour rappeler qu’une expression spontanément actuelle peut revêtir les valeurs éternelles de l’inspiration artistique.
En ce sens, il s’attache avec persévérance à ce qui est le plus inaliénablement constitutif de l’être humain : la voix précisément, la voix comme vecteur de l’imaginaire poétique et de la dimension spirituelle.
Patrick Burgan (né par hasard à Grenoble en 1960, mais Pyrénéen de racines et de cœur) a déjà édifié un catalogue couvrant des formes instrumentales, orchestrales et vocales très diverses, et il serait erroné de le réduire à un champ d’expression spécifique ; pourtant lui-même reconnaît (et l’auditeur attentif avec lui) que sa première œuvre pour ensemble vocal a capella – La Puerta de la Luz (1) (1994), sur des poèmes d’Antonio Machado et de Federico Garcia Lorca – a imprimé un tournant décisif à son écriture, rejaillissant après coup sur son travail orchestral ou instrumental. De fait, les instruments s’expriment volontiers en tant que personnages chez lui : déjà dans Jeux de femmes (1989, sur les poèmes érotiques de Verlaine), la soprano s’enlaçait à une flûte ; son quatuor de saxophones (Miniatures, 1997) campe des humeurs, des états psychologiques ; Le Lac (1999, sur le poème de Lamartine) – somptueuse partition où la voix de soprano se drape dans un orchestre aux reflets miroitants – s’ouvre sur un long solo de violoncelle qui se déploie d’une même coulée qu’un chant vocal.
Mais, sur l’autre versant, il a exploré toute « l’orchestration » que l’on peut tirer d’un ensemble de voix humaines. A titre d’exemple, Le plaisir originel (1999, sur un texte d’Edmond Haraucourt), pour 7 voix solistes a cappella, se concentre sur les diverses manières de créer le mouvement dans l’immobilisme ; ou pour dire les choses autrement : l’immobilité en mouvement du collectif auto-génère l’élasticité de ses fluctuations autour de polarités d’où se détache l’élan de tel soliste. Au fil d’une partition si imposante (24 minutes), des déclamations fort diverses sont mises à contribution, n’écartant pas des références historiques (de la Renaissance à Debussy), mais le défi consiste à ce qu’aucun climat de rupture ne vienne compromettre l’homogénéité du postulat de départ. Dans d’autres cas, Patrick Burgan sait restituer la dramaturgie d’un poème en exploitant l’impact émotionnel, la charge sensitive des différents modes d’émission et d’expression de l’ensemble vocal ou de ses solistes (La Puerta de la luz en fut un premier et magistral exemple, suivi de bien d’autres). Il se refuse pourtant à instrumentaliser ou à dénaturer l’organe humain, et à déstructurer l’œuvre du poète auquel il voue un respect devenu rare. Car notre musicien attache la plus haute importance au choix des poèmes qu’il met en musique. L’amour des beaux textes, l’émotion qui en jaillit sont un formidable moteur pour son inspiration. Il se situe ainsi aux antipodes d’une attitude en vogue chez la génération précédente, laquelle consistait à ne plus considérer la poésie que comme source de phonèmes participant à un champ d’exploration acoustique. Chez lui, au contraire, la sensibilité captée par le poète dans ses vers doit irriguer la musique, et la puissance sémantique véhiculée par l’écrivain nourrit son geste musical.
La voix soliste se plie avec autant de ductilité aux fluctuations de la période poétique quand le climat est brossé par un accompagnement instrumental : chef-d’œuvre d’émotion, Les étrennes des orphelins (2000, d’après Rimbaud) sertit les voix de femmes dans le statisme évanescent d’une instrumentation dont l’effectif réduit à neuf parties n’empêche pas le scintillement mystérieux de couleurs irréelles
Mystère encore, la magie de l’intemporel, telle que Patrick Burgan sait la produire pour nous transporter dans les sphères du spirituel. Pour ce faire, nul besoin d’un « retour à… », ni du médiévisme fumeux colporté par certains chantres d’un « post-modernisme » (où va se nicher l’ineptie sémantique !) déjà dépassé. Intemporel ne veut pas dire passéiste, et c’est en créateur d’aujourd’hui que Patrick Burgan se penche sur les grands textes de la liturgie latine : autre de ses chefs-d’œuvre, Audi Coelum (1998) procède par stratification de différents types d’écriture vocale et organistique, de la cantilène mélismatique à la polyphonie, du fondu de sonorités en lévitation au tournoiement irréel de séquences hypnotiques ; à la fin, le temps suspendu s’échappe vers l’éternité. L’auditeur en sort imprégné d’une paix profonde, propice à la contemplation.
L’inspiration sacrée dépasse le cadre choral, même si notre compositeur y revient périodiquement : c’est par l’orchestre seul qu’il a choisi d’illustrer Les Sept dernières paroles du Christ (1996) ; la concision du discours se concentre sur la quintessence du drame et sur les images parlant directement à notre conscience. La liturgie mariale, qui occupe une place privilégiée chez Patrick Burgan, emprunte les chemins de l’orgue seul : Ex Maria Virgine (1992) joue des échos de sonorités insolites se répercutant sous les voûtes. Revenir à l’art sacré de nos jours implique de s’interroger sur le sens même de l’acte créateur, acte de foi s’il en fût dans un monde mercantile où la gratuité d’une vocation consistant à traduire et transmettre les formes d’un idéal intime apparaît tantôt comme une provocation indécente, tantôt comme une illumination salvatrice.
Et on touche ici à la conception de l’art et de la vie chez Patrick Burgan : il aime parler du processus de composition d’une œuvre en termes de « développement biologique par division cellulaire », d’ « énergie qui se libère », il réhabilite l’expression comme « dévoilement de l’âme humaine ». Dans son regard sur l’œuvre en train de naître – matière sonore que l’idéal du créateur façonne -, comme sur l’alliage d’âme et de matière qui constitue l’être humain, il réfute toute séparation ontologique, tout cloisonnement artificiel, ce qui le conduit à abolir les distinctions entre art profane et art sacré. De même que le temps de la vie terrestre s’inscrit entre un avant et un après, l’œuvre représente la « mise en vibration » par les capacités techniques du compositeur d’une « énergie fondamentale qui préexiste » ; celui-ci la reçoit, lui donne une forme à travers son individualité d’artiste afin de la transmettre à son tour aux autres humains qui l’écouteront. Mais jamais il ne perd de vue que l’artiste, aspirant à donner un visage à la Beauté qu’il ressent en lui, touche à un Absolu qui l’irradie, et par là-même touche à quelque chose qui est de l’ordre du sacré.
Ainsi doit-on relire l’ensemble de l’œuvre de Patrick Burgan dans une perspective d’unité profonde où chaque nouvelle pierre apportée à l’édifice complète et éclaire l’architecture des précédentes. Cette unité vaut pour la pensée, emportée par le flux de la vie et couvrant tous les états de notre parcours, qu’elle s’émeuve de la complainte d’un enfant qui n’est pas né (le bouleversant poème final de La puerta de la luz), qu’elle soit submergée par l’Eros, qu’elle médite au pied de la Croix du Christ, ou qu’elle se confronte au Requiem (une création programmée pour 2004). Elle vaut aussi pour les moyens d’expression qui, sans recherche ostentatoire, dessinent un langage parfaitement identifiable, d’une très grande malléabilité : la souplesse animant la ligne mélodique comme l’évolution des masses sonores, doit certes beaucoup au travail assidu sur les voix, mais elle épouse en fait le geste humain, qu’il s’agisse du geste d’amour ou du geste d’oraison.Cette ductilité du langage manifeste le choix de la musique comme forme d’expression la moins susceptible de figer l’élan des sentiments ou sensations et sa complexe intrication à la dimension abstraite de la pensée. Mais cela implique l’articulation d’un discours construit avec autant de cohérence qu’une narration (autre notion chère à notre musicien), afin d’organiser la transmission du sens à l’auditoire. L’attitude de Patrick Burgan est donc faite d’écoute et d’accueil à tout ce qui atteint l’intériorité de l’être ; l’acte créateur qui en découle ne peut être qu’intimement ressenti, et dénué d’artifice intellectualisant même si parfaitement contrôlé, d’où cette conviction clairement exprimée : « Un compositeur qui recherche à tout prix l’originalité fait fausse route. Un compositeur n’a pas à rechercher l’originalité : elle doit se trouver d’elle-même dans la réalisation de son travail. Le compositeur cherche tout simplement une adéquation parfaite entre la musique qu’il entend à l’intérieur de lui-même et la matière qui va se mettre en vibration. Je crois que le gros problème de la musique au XXème siècle fut cette recherche de l’originalité pour elle-même. Elle y est ou elle n’y est pas, mais ce n’est pas le problème du compositeur. »
Sylviane Falcinelli (2)
(1). Le festival de musique vocale de l’abbaye de Silvacane a intitulé son édition 2003 : « Porte de la lumière » en référence à l’œuvre de Patrick Burgan qui fut interprétée dans ce lieu le 15 août de cette année-là par l’ensemble Musicatreize sous la direction de Roland Hayrabedian. « La puerta de la Luz » est enregistrée par cet ensemble sur un disque MFA Radio-France.
(2). La musicologue Sylviane Falcinelli a consacré une émission au compositeur Patrick Burgan le 27 juin 2003 sur les ondes de la Radio-Suisse Romande, et prépare actuellement un livre d’entretiens et d’analyse de ses oeuvres.
« Il réhabilite l’expression comme dévoilement de l’âme humaine »
Sylviane Falcinelli
Mes collaborations avec Patrick Burgan par Marc Blanchet
L’écriture d’un poète connaît par sa collaboration avec un compositeur une toute autre résonance. Quelque chose se complexifie du fait même de l’écriture musicale (et du chant) et, en même temps, une sorte d’allégeance s’opère dans la langue. Un réseau de correspondances fait place à un autre. Des figures, des obsessions, des images se vêtent de contours nouveaux, si ce n’est d’une profondeur non pas seconde mais totalement neuve, une sorte de renaissance par un autre canal artistique. Ces figures, ces obsessions, ces images pourraient m’apparaître méconnaissables. La musique de Patrick Burgan les emporte vers un autre versant, leur insuffle de nouveaux enjeux.
Patrick Burgan affirme la profondeur d’un chant devant l’ironie du siècle, multiplie les sensations devant le sens commun, ne cache pas une ivresse authentique, en dehors des formes et flacons habituels. Nous avons en commun le fait d’être difficiles à « cataloguer ». Si le lyrisme de nos créations est en correspondance directe avec une nature profonde, nous tentons aussi de l’affiner, de le contrarier, d’en faire ressortir une complexité doublée d’un sens sincère du plaisir, qui à défaut de déranger charme peut-être, puisqu’il ne cherche pas à convaincre. Chez Patrick Burgan, j’apprécie qu’il n’y ait aucun didactisme. Si un discours est en marche, c’est celui qui permet à l’œuvre d’accomplir sa courbe parfaite, de raconter un univers de douleur, de sensualité ou de rêverie, sans se parer des effets d’une apparente modernité, sans recourir aux philosophies temporaires, et surtout ne servant que la richesse même de la musique – celle-là même qui va révéler l’originalité de ce discours.
Ainsi toute la musique de Patrick Burgan – ce don dépasse la musique vocale à laquelle j’ai eu le plaisir de collaborer – s’affirme-t-elle sans la moindre démonstration. Il faut cependant nuancer ce propos : le discours est certes là, son développement visible puisque partagé. Mais le compositeur ne noie pas son inspiration par la simple affirmation d’un discours. La musique de Patrick Burgan joue en ramifications et en abîmes. Elle s’élance certes, mais montre aussi la douleur sous ses flancs, contrarie les prodiges mélodiques de son déploiement pour pointer d’un doigt tremblant des accès, des fièvres, des boucles. C’est dans cette mise en tension, et grâce à ce questionnement, qu’elle gagne toute sa noblesse.
Aussi ai-je vu Patrick Burgan à l’œuvre dans sa lecture de mes propres poèmes, cherchant à croiser la somme de ses sensations et de ses instincts à la mienne, afin de faire naître l’inattendu d’un échange, afin de donner au poème, dans la perception que le musicien en a par sa musique, une profondeur qui existe peut-être déjà lors du silence mental de la lecture. Le rapport au texte de Patrick Burgan est de ressentir tous les aspects d’une écriture littéraire, et de ne pas vanter la technique au détriment de la sensation. Ainsi agit-il pour que sa musique, à son tour, agisse vers l’auditeur, le porte, l’enracine ou l’exile vers des contrées où la parole comme la musique seraient la partie émergée d’un silence immémorial – et sûrement la meilleure part d’un rêve d’une haute sensualité rendue enfin à l’homme.
Marc Blanchet
Le poète Marc Blanchet est l’auteur du livret « La source des images ou Narcisse exaucé », conte lyrique pour un acteur, 12 chanteurs et ensemble instrumental qui fut créé en 2000 par l’ensemble Musicatreize. Il a aussi écrit, à la demande du compositeur, les 3 poèmes de « Soleils » pour chœur à voix égales que le chœur Mikrokosmos créa en 1996. D’autre part, ses recueils de poèmes (« Poèmes de la Chartreuse », « Sanctuaires », etc.) sont une source à laquelle Patrick Burgan puise avec prédilection.
« Patrick Burgan affirme la profondeur d’un chant devant l’ironie du siècle »
Marc Blanchet
Radios – Interviews – Colloques – Reportages
RADIOS
->Interview croisée Eric-Emmanuel Schmitt – Daniel Kawka – Patrick Burgan
Radio RPL – 22 novembre 2022 – Sujet : création de Enigma à l’Opéra de Metz
-> France-Musique – Le portrait contemporain – Emission d’Arnaud Merlin
– > France Musique « Miniatures » – Cécile Gilly
Portrait de Patrick Burgan en 5 émissions
- Miniatures 27 avril 2009
- Miniatures 28 avril 2009
- Miniatures 29 avril 2009
- Miniatures 30 avril 2009
- Miniatures 1er mai 2009
– > Portrait de Patrick Burgan sur Canal Académie :
– > « Impulsion » émission de France-Culture, à propos de l’opéra Peter Pan et de la théâtralité de la musique de Patrick Burgan :
– > A DO # émission de Dominique Boutel sur France Musique, documentaire sur les coulisses de la préparation de Peter Pan :
INTERVIEWS
– > Interview de Patrick Burgan à propos de la création d’ENIGMA :
– > Interview de Daniel Kawka à propos de la création d’ENIGMA :
– > Interview de Patrick Burgan dans le cadre de la tournée canadienne de Batèches pour 11 percussions :
COLLOQUES – REPORTAGES
-> Via Lucis (reportage)
-> Cantique des cantiques/Les Spirituelles (reportage)
– La chute de Lucifer (reportage)
– > Colloque du 18/03/2016 au cours duquel Patrick Burgan (25′ à 41′) parle des influences d’autres musiques (populaires, moyen-âge, etc.) dans ses oeuvres, et notamment de son épopée lyrique « 1213-Bataille de Muret » : Cliquez ici
– > « Je me souviens… » Documentaire sur les 20 ans du Festival Toulouse-Les-Orgues, avec la création d’Audi Coelum (tout début du doc.) : Cliquez ici