Apparitions
Chœur mixte
Poèmes de Marc Blanchet, Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé.
(2000)
Durée : 11’
Commande du Chœur Accentus.
Création mondiale le 10 mai 2001, Monaco, chœur de chambre Accentus, direction Laurence Equilbey.
Editions Jobert
« C’est une femme… » (déb) :
« La Béatrice » (extr) :
« Apparition » (déb) :
Les visions poétiques de Marc Blanchet, Charles Baudelaire et Stéphane Mallarmé dressent une image polymorphe de la femme dans ces trois apparitions.
Fugitive, énigmatique, insaisissable pour Blanchet dont le poème est bâti sur trois élans successifs.
Lubrique, cruelle, démoniaque pour Baudelaire qui piétine ici l’amour courtois et nous donne de la muse une image terrible tout en moquant la vanité du poète.
Douce vision pour Mallarmé qui, dans ce poème de jeunesse, dépeint avec une touche de nostalgie les émois de l’amour naissant.
Ces trois apparitions exploitent musicalement toutes les ressources du chœur a cappella : modes d’émissions variés (chuchoté, parlé, crié), divisions extrêmes (jusqu’à 32 parties réelles), opposition d’une voix soliste à la masse chorale (la scansion « Qui riait !» du chœur – jeu de mot avec « Kyrie » – sur la plainte désespérée du poète solitaire – Dante ou Baudelaire lui-même – reconnaissant la reine de son cœur dans les bras d’une nuée de démons).
C’est une flèche…
C’est une flèche venue de nulle part,
La femme soudain dans le silence du cloître, caressant
D’une main de velours la fresque enfantée par le mur.
C’est un coup au cœur, le prodige infernal d’une saison,
La femme venue de nulle part touchant les pierres de la
Cellule où s’est endormie la ferveur.
C’est un prodige venu du cœur,
La femme descendue de l’autel, à la poitrine d’une
Douceur de mère, et encore vierge
Au sein d’elle-même, comme le temps qui recueille les
Prières
De l’homme enclos dans sa ferveur.
Marc Blanchet
La Béatrice
Dans des terrains cendreux, calcinés, sans verdure,
Comme je me plaignais un jour à la nature,
Et que de ma pensée, en vaguant au hasard,
J’aiguisais lentement sur mon coeur le poignard,
Je vis en plein midi descendre sur ma tête
Un nuage funèbre et gros d’une tempête,
Qui portait un troupeau de démons vicieux,
Semblables à des nains cruels et curieux.
À me considérer froidement ils se mirent,
Et, comme des passants sur un fou qu’ils admirent,
Je les entendis rire et chuchoter entre eux,
En échangeant maint signe et maint clignement d’yeux:
— «Contemplons à loisir cette caricature
Et cette ombre d’Hamlet imitant sa posture,
Le regard indécis et les cheveux au vent.
N’est-ce pas grand’pitié de voir ce bon vivant,
Ce gueux, cet histrion en vacances, ce drôle,
Parce qu’il sait jouer artistement son rôle,
Vouloir intéresser au chant de ses douleurs
Les aigles, les grillons, les ruisseaux et les fleurs,
Et même à nous, auteurs de ces vieilles rubriques,
Réciter en hurlant ses tirades publiques?»
J’aurais pu (mon orgueil aussi haut que les monts
Domine la nuée et le cri des démons)
Détourner simplement ma tête souveraine,
Si je n’eusse pas vu parmi leur troupe obscène,
Crime qui n’a pas fait chanceler le soleil!
La reine de mon coeur au regard nonpareil
Qui riait avec eux de ma sombre détresse
Et leur versait parfois quelque sale caresse.
— Charles Baudelaire
Apparition
La lune s’attristait. Des séraphins en pleurs
Rêvant, l’archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles.
– C’était le jour béni de ton premier baiser.
Ma songerie aimant à me martyriser
S’enivrait savamment du parfum de tristesse
Que même sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d’un Rêve au coeur qui l’a cueilli.
J’errais donc, l’oeil rivé sur le pavé vieilli
Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue
Et dans le soir, tu m’es en riant apparue
Et j’ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d’enfant gâté
Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
Neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées.
Stéphane Mallarmé