Via Lucis

Motet spirituel pour 13 voix mixtes et viole de gambe
Textes : Louisa Paulin (français), De Profundis (latin), Jean de Valès et Peire Godolin (occitan)
(2017)
Durée : env. 9’
Création mondiale le 18 mai 2017 en l’église de Blagnac (Festival Odyssud)
Christine Plubeau, viole de gambe – Chœur de chambre « Les Eléments » sous la direction de Joël Suhubiette.

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Lorsqu’il m’a passé commande d’une nouvelle œuvre pour le chœur de chambre les Eléments, Joël Suhubiette souhaitait que cette dernière s’inscrive dans la thématique de son programme « Capella nostra » consacré au patrimoine musical de la région occitane, dans l’axe Toulouse-Narbonne.

Après de longues recherches, un texte retint mon attention : l’adaptation versifiée en occitan du psaume 29 (De Profundis), écrite au XVIIe siècle par le montalbanais Jean de Valès. Ce choix a entraîné la décision d’intégrer également à l’œuvre le psaume original en latin.

La présence de 2 textes s’est ensuite révélée insuffisante pour nourrir les différents pupitres vocaux (Sopranos, altos, ténors et basses) : chacun devait avoir son propre texte.

Se sont alors greffés des poèmes du toulousain Pierre Goudelin (XVIIe) en occitan,  et de l’albigeoise Louisa Paulin (XXe) en français ; deux poèmes inscrits dans le même élan spirituel que le De Profundis fondateur, avec la même aspiration de l’âme vers une lumière salvatrice.

Au début de l’œuvre, les 13 voix chuchotent le De Profundis latin telles une foule aux cris étouffés qui hurle son appel sous les incitations inquiètes de la viole de gambe.

L’appel est réitéré avec la même violence, mais cette fois en latin et occitan : le psaume original aux voix de femmes, sa traduction occitane aux voix d’hommes, toujours sous les sollicitations agitées de la viole.

S’ensuit un développement plus doux de cette forêt de sons chuchotés qui va peu à peu, sous les volutes virtuoses de l’instrument soliste, culminer en cris désespérés,  toujours avec les De Profundis latin et occitan confiés respectivement aux voix féminines et masculines.

Les deux textes sont ensuite doucement psalmodiés par les altos (latin) et les ténors (occitan) sous le chant expressif de la viole.

Puis les basses font leur entrée avec le poème de Goudelin, et toutes les voix s’ouvrent enfin en éventail jusqu’aux sopranos avec les mots de Louisa Paulin.

Lorsque ces mots arrivent aux « rives de la lumière », la viole s’arrête pour laisser le chœur a cappella nous mener vers « l’autre bord ».

Pour terminer, après une section tourmentée où la viole converse avec les sopranos soucieuses de laisser le « bon sommeil » de la mort l’emporter sur un « souvenir glacé » devenu superflu, la polyphonie reprend sa marche dans une couleur beaucoup plus chaude et apaisée, véritable montée de l’âme à travers un chemin de Lumière.

PBurgan

                                                                                  Textes

Pleureuse (voix de sopranos)

Pleureuse, qui convoies obstinément ton mort

Loin des rives de la lumière,

Renonce à l’émouvoir au secret du suaire,

Qu’une paix sans défaut le mène à l’autre bord.

Laisse-le dériver aux brises inconnues,

Ne l’importune pas de souvenir glacé,

Laisse le bon sommeil détruire le passé

Et le conduire au seuil de neuves avenues.

Que l’eau pure du temps, seule, le vivifie,

Que pour lui se distille un nombreux devenir

Puisque tes vaines mains ne surent retenir

Celui qui s’évada, Pleureuse, de ta vie.

Louisa Paulin
Fragments de la Chanson des regrets
(Réalmont, 21 août 1939)

De profundis, Psaume 129 (voix d’altos)

De profundis clamavi ad te, Domine,

Domine, exaudi vocem meam.

Fiant aures tuæ intendentes

In vocem deprecationis meæ.

Si iniquitates observaveris, Domine,

Domine, quis sustinebit ?

Quia apud te propitiatio est,

Et propter legem tuam sustinui te, Domine.

Sustinuit anima mea in verbo ejus,

Speravit anima mea in Domino.

Du fond de l’abîme je crie vers vous, Seigneur,

Seigneur, écoutez ma voix.

Que vos oreilles soient attentives

Aux accents de ma prière.

Si vous tenez un compte rigoureux de nos iniquités, Seigneur,

Seigneur, qui pourra subsister devant vous ?

Mais vous êtes plein de miséricorde, aussi

J’espère en vous, Seigneur, à cause de votre loi.

Mon âme attend, confiante en votre parole,

Mon âme a mis son espoir dans le Seigneur.

Del fin founs de moun cor… Psaume 129 (voix de ténors)

Del fin founs de moun cor, o Diu de las merbeilhos
Yeu me réclami à bous plounjat din l’aflicciu
Escoutats pla la boux de moun humblo ouraciu,
E per l’augi milhou faséts bous tout aureilhos.

Se bous abéts regard à nostres pecats, Seigne,
Qui pouïra daban bous prou segu se teni?
Més bous faséts fort pla, gran Diu, de nous puni,
Car qui bous aimario, se nou bous fasiats creigne?

La gracio siéc pertout bostro dibino essenso,
E yeu me souy toutjoun fisat d’abe perdou
Persoque bostre ley proumet al pecadou
Countrit, é repentent remissiu de l’ouffenso.

Moun armo a pacientat sus aquelo fisanso,
Car so que bous diséts bal may qu’argen countent:
E may que moun cor parle en beray penitent;
D’éstre un joun perdounat diu abe l’esperanso.

Du plus profond de mon coeur, ô Dieu des merveilles,
je vous implore, plongé dans l’affliction;
écoutez la voix de mon humble oraison,
et pour l’entendre mieux faites-vous tout oreilles.

Si vous prenez garde à nos péchés, Seigneur,
qui pourra devant vous se tenir assez sûr;
mais vous faites fort bien, grand Dieu, de nous punir
car qui vous aimerait si vous ne vous faisiez craindre?

La grâce suit partout votre divine essence
et j’ai toujours eu confiance d’obtenir le pardon
car votre loi promet au pécheur
contrit et repentant, rémission de l’offense.

Mon âme a patienté grâce à cette confiance
car ce que vous dites vaut mieux qu’argent comptant,
et pourvu que mon coeur parle en vrai pénitent,
d’être un jour pardonné il doit avoir l’espérance.

Psaumes de la pénitence. Jean de Valès (17e siècle – Montauban)
Traduction de  Jean Eygun

La mort…  (voix de basses)

La mort, que prou souben fa milhou qu’on nou penso,

Atrapèc justomen moun filhol al poupèl,

Afi que ple de layt, yeu dizi d’innoucenço,

Pel carrayrou de layt el gagnèsso le Cèl.

Pèire Godolin (Le Ramelet Mundi, prumièro Floureto)

La mort, qui bien souvent œuvre mieux qu’on ne pense,

Attrapa justement mon filleul sur le sein

Pour que, repu de lait – moi je dis d’innocence –

Dans le chemin lacté, puisse gagner le ciel.

Pierre Goudelin (Le Ramelet Mondin, première Floreta)
Traduction Patrick Burgan