Le lac

Soprano et orchestre
Nomenclature des instruments : 2.2.2.2 – 2.2.2.0 – 3 perc, pno-cel, hp et cordes
(1999)
Poème d’Alphonse de Lamartine.
Durée : 25’
Commande de Radio France.
Création mondiale le 25 mai 2001, au Théâtre du Châtelet, Paris, par Marylin Fallot (soprano) et l’Orchestre Philharmonique de Radio France, sous la direction d’Eliahu Inbal.
Editions Billaudot

Enregistrement CD (voir Discographie) : cliquez ici

Ecoute extrait 1 (Fallot-Inbal-Philharmonique RF)
Ecoute extrait 2 (Condolucci-Petitgirard-Colonne)
Ecoute extrait 3 (Fallot-Inbal-Philharmonique RF)
 

Nomenclature Orchestrale

Chacun peut retrouver dans sa mémoire quelques vers – au mieux quelques strophes – de ce fameux poème de Lamartine : « Le lac ».

Il faut pourtant l’appréhender dans sa totalité si l’on veut mesurer toute la dimension humaine de cette plainte solitaire qui résonne sur des thèmes universels et dans l’enceinte d’une nature à la mémoire éternelle.

La puissance évocatrice des images et des impressions appelait une lecture musicale dont l’orchestre serait à même de peindre les différents contours. Cette lecture explicite souvent certains sous-entendus comme ce « Ainsi » initial qui suppose une réflexion mélancolique bien antérieure à la première strophe et se voit transcrit ici par un long prélude instrumental ; une sorte de condensé où se lit le tourment intérieur de celui qui va prendre la parole.

On pourra toutefois s’étonner de l’utilisation d’une voix de femme, quand il est indéniable que c’est le poète lui-même qui parle à travers ces lignes. Il parle, certes, mais tout imprégné encore du souvenir douloureux de celle qu’il vient de perdre – il lui donne d’ailleurs directement la parole sur quelques strophes. C’est elle qui se révolte contre la fuite du temps; c’est elle encore qui supplie les éléments de garder la mémoire de son bonheur perdu.

Poème :

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges
Jeter l’ancre un seul jour ?

Ô lac ! l’année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu’elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m’asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s’asseoir !

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes ;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;
Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.

Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos,
Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère
Laissa tomber ces mots :

« Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices,
Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !

« Assez de malheureux ici-bas vous implorent ;
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.

« Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m’échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : « Sois plus lente » ; et l’aurore
Va dissiper la nuit.

« Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! »

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse,
Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur,
S’envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?

Hé quoi ! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ? quoi ! tout entiers perdus ?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus ?

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?

Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !

Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux !

Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés !

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu’on entend, l’on voit et l’on respire,
Tout dise : « Ils ont aimé ! »
Alphonse de Lamartine (1790-1869), Méditations poétiques